L’Ecotaxe : l’intérêt général sacrifié ?
novembre 2nd, 2013 // 4:47 @ V.CAU
5 jours après la mise en veille du de l’écotaxe poids lourds et à la veille d’une nouvelle manifestation contre le projet, il y a lieu de s’interroger : faut-il écouter la fameuse sagesse populaire et remettre en cause ce projet ou faire confiance à l’état planificateur et sa gestion de l’intérêt commun ?
Quels sont les avantages et inconvénients d’une taxe ?
Tout d’abord pourquoi une écotaxe ?
Le MEDDE la définie l’écotaxe de la manière suivante : « L’écotaxe vise à instaurer un cercle vertueux : dans une logique écologique, c’est un signal prix pour inciter à modifier les comportements en faveur de modes de transport plus durables ; elle permet aussi de faire payer l’usage des routes par l’utilisateur réel, tout en dégageant des recettes pour financer les infrastructures de transport, notamment le rail et le transport fluvial. Comme elle concerne aussi les camions vides, elle sera dissuasive et incitera les transporteurs à rationaliser leurs tournées. »
Cette mesure, ne concerne que les transports de marchandises ne seront donc pas assujettis les bennes à ordures ménagères, grue, véhicule atelier ou de dépannage.
Le principe d’écotaxe existe déjà dans de nombreux pays européens : Suisse, Autriche, Allemagne, République tchèque, Slovaquie. «En Allemagne l’écotaxe existe depuis 2005, sans poser aucun problème ni aux entreprises ni aux transporteurs… De 0,14€ à 0,28€ par kilomètre, la « LKW Maut » n’a pas asphyxié le transport routier, bien au contraire. L’autoroute A5 qui traverse le Baden-Würtemberg est élargie à deux fois trois voies, grâce aux recettes de cette écotaxe ».
Les inconvénients :
Le premier inconvénient (et de loin) et de nommer cette mesure « taxe ». Dans la période actuelle, ce seul fait cristallise la colère et annihile toute réflexion froide et tout discours argumenté. L’inconvénient connexe, « au second ordre » ou par ricochet, et d’associer « éco » à « taxe », ce qui in fine conduit (déjà) à un rejet de tout ce qui est éco. Il ne serait pas étonnant que la « valeur verte » disparaisse petit à petit, dans les messages des communicants.
Les prix des produits augmenteront proportionnellement à leur « teneur en transports routiers ». Il va y donc y avoir des augmentations de prix difficilement comprises par les consommateurs (difficile pour le consommateur moyen d’avoir la notion des transports nécessaires à la mise à disposition de leurs produits préférés). Difficile également de savoir comment les prix pourraient être répercutés. En théorie les Palets bretons devraient être moins chers à Quimper qu’à Nice (ce qui serait pure logique). Globalement l’augmentation attendue est de l’ordre de 4% du prix des transports, le prix des transports dans les marchandises étant estimé à environ 10% (source Developpement-durable.gouv.fr)
Certaines régions périphériques « isolées » car mal desservies par les autoroutes (non impactées par la taxe, mais à péage…) seraient désavantagées. Il a donc été mis en place un abattement de 50% pour la Bretagne et 30% pour Midi-Pyrénées et l’Aquitaine.
De la même manière que pour les fuites de carbone, les distorsions de « fiscalité routière » pourraient entraver les entreprises françaises. Les produits nécessitant beaucoup de transports pour leur fabrication (plusieurs passages sous les portiques) pourraient être défavorisés par rapport à leurs concurrents étrangers (ne passant sous le portique que du port à la plateforme de distribution). Ce qui veut dire que le produit est fortement dépendant de transport , et que « ça risque de secouer » avec la contrainte énergétique qui va se faire de plus en plus mordante.
Les avantages :
Le gros avantage d’une taxe est qu’elle s’applique à celui qui bénéficie de l’usage, ce qui pourrait aller à l’encontre de la solidarité ou de la notion de service public, mais permet de donner une réalité économique à un flux physique. Elle est censée permettre de réorienter une activité lorsqu’un problème a été identifié pour cette activité. Si l’on identifie un ou des problèmes (contrainte énergétique, émissions de gaz à effet de serre, financement des infrastructures), il est du devoir de l’état planificateur d’anticiper et de mettre en place des mesures de « protection ». La taxe fait partie de ces mesures.
La taxe mettra à contribution nos amis européens qui transitent et profitent de notre réseau. Le concessionnaire espagnol qui fera venir des véhicules d’Allemagne contribuera également au financement et à l’entretien de notre réseau (comme pour les autoroutes).
L’écotaxe doit également ramener des recettes destinées à « améliorer le réseau », développer les modes plus durables (rail et transport fluvial). Sur ce point, on peut constater une cohérence dans les grands projets nationaux, qui font la part belle zones périphériques et mal desservies. Par exemple avec les chantiers en cours : la LGV Bretagne – Pays de Loire et ses 200 ouvrages d’art et 3.4 milliards d’euros ou la LGV Tours-Bordeaux (500 ouvrages et 7.8 milliards d’euros).
Elle permet d’anticiper une contrainte qui va arriver, que l’on manifeste ou pas : le renchérissement inéluctable du prix des transports. La contrainte (si elle ne tue pas) pousse à prendre des mesures pour en réduire l’emprise qu’elle exerce. Une taxe sur les transports doit pousser ceux qui y sont assujettis à revoir leur fonctionnement, et donc à anticiper la contrainte énergétique.
Quelles options reste-t-il finalement ?
Mise en place de l’écotaxe :
Les produits « voyageurs » sont impactés et «tout le monde » en supporte le surcout. Il y a inflation pour certains produits. Comme pour tout changement de règles, il y aura des gagnants et des perdants. Il est probable que cette taxe permette d’anticiper la contrainte énergétique sur les transports et armera donc les entreprises françaises pour affronter les difficultés qui vont s’exacerber.
Pas d’écotaxe (business as usual)
Dans ce cas nous avons les choix suivants :
- Ne rien faire, dans l’état des finances nationales et des collectivités locales cela revient à laisser se dégrader nos réseaux routiers et renoncer à développer d’autres modes qui pourraient nous sauver la mise plus tard.
- Faire « participer » le contribuable au lieu de l’usager, ce qui est le cas aujourd’hui (seuls 50% des foyers fiscaux payent l’impôt sur le revenu aujourd’hui !). Contrairement aux autres modes de transports qui doivent (en grande partie) assurer leur propre financement (le ferroviaire, l’aérien, le fluvial), le réseau routier est financé par le contribuable, qu’il en profite beaucoup ou pas. L’abandon de l’écotaxe, c’est renvoyer la facture au contribuable plutôt qu’à l’usager, avec un supplément de 800 millions à 1 milliard d’euros pour rupture de contrat avec Ecomouv et l’obligation de trouver ailleurs de quoi équilibrer le budget de l’État.
- Taper encore une foi dans la dette ! Réduire le nombre d’infirmières, d’aides-soignantes d’instits, de profs, de militaires, de fonctionnaires…
Conclusion :
L’intérêt commun semble passer après la colère. Renoncer parce que c’est difficile n’est pas le meilleur signal et la meilleure chose pour mettre notre pays sur les rails. Tout cela n’annonce pas de lendemains sereins dans une période qui va nécessiter de nombreux changement et la remise en cause de bien des mécanismes économiques considérés aujourd’hui comme acquis.
“Le plus grand danger qui nous guette n’est pas de nous assigner un objectif trop ambitieux et de le manquer… mais de nous assigner un objectif trop facilement atteignable…et de l’atteindre” Michelangelo
Category : Economie