Emissions du ciment…quelles perspectives?
avril 4th, 2011 // 12:55 @ V.CAU
Les émissions du ciment
Le ciment est un liant hydraulique principalement composé de clinker. Issu de la cuisson à 1450°C de calcaire (80%) et d’argile (20%), le clinker est un matériau avec un fort impact carbone. On estime que le ciment pourrait être responsable de 5% de émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) anthropiques. La réduction des émissions du bâtiment et de la construction est un enjeux majeur pour parvenir au fameux facteur 4 français (réduction des émissions mondiales de 50% par rapport à 1990). La production française de ciment se situe autour de 20 à 25 Mt par an.
Le sujet des émissions de GES est un enjeu majeur pour les industriels du ciment, et les efforts sont intenses pour réduire l’impact carbone de leurs produits . Les cimentiers ne sont pas plus vertueux ou écolos que les autres industries, mais force est de constater que là comme ailleurs, l’aiguillon économique fait bouger les choses. L’industrie du ciment est soumise au marché des quotas d’émissions (Emission Trading Scheme), qui va se durcir à partir de 2013. Le coût de ces quotas pourrait représenter 50% de la valeur produite pour l’industrie du ciment, à titre de comparaison, cela ne représenterait que 1% pour l’industrie papetière (soumise également au marché des quotas).
J’ai réalisé un article « du carbone dans le ciment » en 2009, dans lequel j’estimais les émissions du ciment à environ 0.65 kg éq. CO2/kg. Pour le clinker, constituant principal du ciment, j’avais 0.78 kg éq. CO2/kg, il est vraisemblable que les émissions ont encore diminué grâce aux efforts des industriels. Les européens sont particulièrement en avance sur ce sujet, le clinker américain émet (ou dépend) d’environ 0.935 kg éq. CO2/kg et 0.90 pour le clinker chinois. Des gains sont encore possibles en Europe, quelques pourcents vraisemblablement vu les efforts déjà entrepris, mais pour le reste du monde il est surement possible de réduire les émissions de 25%. On peut cerner trois axes d’amélioration :
- amélioration des processus industriels et des rendements
- substitution du fuel de chauffage, par des combustibles alternatifs (pneus, déchets divers) ou de la biomasse (suivant les disponibilités locales)
- amélioration du ratio clinker/ciment : utilisation de matériaux alternatifs (cendres volantes, filler, scories laitiers, pouzzolanes…)
D’après une étude de N.Roussel et G. Habert du LCPC : « Comment concevoir un béton à faible impact environnemental » (2008), les cibles atteignables à l’horizon 2020, pour ces trois axes, sont les suivantes:
- Situation zéro (mondiale actuelle) 1t éq. CO2/t ciment
- Situation Européenne : 0.62t éq. CO2/t ciment (gain de 91% sur les performance énergétiques (process), gain de 25% sur l’énergie de cuisson du cru, et gain de 38% sur la décarbonatation)
- Situation projetée pour 2020 : 0.35t éq. CO2/t ciment : (plus de gain possible sur les performances énergétiques par rapport à la situation européenne, gain de 61% sur l’énergie de cuisson (combustibles de substitution), gain de 38% sur la décarbonatation par rapport à la situation européenne (rapport clinker/ciment))
Le laitier : un ciment vert?
Le laitier est un additif au clinker connu depuis longtemps (avant 1900). Il est présent notamment dans les ciments CEM III, auxquels il confère une résistance accru aux chlorures (béton en milieu marin), il permet d’obtenir un teinte très claire et un bullage réduit (béton architectoniques). Il a également des inconvénients : une faible résistance au jeune age (temps de prise), une sensibilité à la carbonatation et au retrait, mais il est surtout moins cher que le ciment classique (10 à 15%) et les émissions affectées au laitier sont actuellement nulles, car ce produit est considéré comme un déchet par l’industrie sidérurgique. La norme française NF EN 206-1 limite à 30% la substitution au ciment, pour les ouvrages structurels ou pour les Bétons Prêts à l’Emploi (béton centrale), les choses pourraient bouger car cette norme est en cours de révision. Certains pays Européens, autorisent une substitution jusqu’à 70%. Par ailleurs, le laitier peut être utilisé directement par les malaxeurs par les entreprises ou préfabricateurs.
L’entreprise Irlandaise Ecocem commercialise depuis 2009 dans le sud de la France, ce ciment qu’elle qualifie « d’écologique ». Elle escompte bien diffuser jusqu’à 700 000t de laitier, et secoue le monde du béton prêt à l’emploi et de la préfabrication béton. Ecocem envisage même de commercialiser dès cette année, du ciment au laitier en sac via le réseau de distribution Point P. Mais, si le laitier est actuellement « CO2 free » et permet de parler de béton « bas carbone », cela pourrait ne pas durer. Actuellement, un béton avec 30% de laitier (280 kg de liant par m3 de béton : 196 kg de clinker et 84 kg de laitier) cela permet de « gagner » 60 kg éq. CO2/m3 de béton. Le laitier est actuellement considéré comme un déchet auquel aucune émission n’est affecté, le fait qu’il soit utilisé de manière plus systématique par les cimentier, peut lui permettre de sortir de la catégorie « déchet » pour entrer dans celle des « sous-produit ». La question n’est pas secondaire, ni pour l’industrie sidérurgique, ni pour les cimentiers, et pourrait être tranchée par la nouvelle directive européenne du 19/11/08 sur les déchets. Il est cohérent d’affecter des émissions à un produit qui est vendu, même s’il n’est qu’un sous-produit résultant d’un processus industriel. Deux méthodes sont envisagées pour lui allouer une part des émissions de l’acier :
- l’allocation massique : Les émissions de fabrication de l’acier sont reparties aux pourcentages des masses (acier et laitier) dans ce cas les émissions se répartissent de la manière suivante : 1/5 pour le laitier et 4/5 pour l’acier. Cette méthode arrangerait grandement les professionnels de l’acier, mais confèrerait tellement d’émissions au laitier qu’il perdrait tout son bénéfice pour les cimentiers.
- l’allocation économique : les émissions sont allouées au pourcentage de la valeur économique des produits et sous produits. Dans ce cas les émissions allouées au laitier serait de 2 à 10% des émissions de CO2 de l’acier. Cette solution est pour le coup plus équilibrée pour les protagonistes, elle permet d’envisager un rapport « gagnant-gagnant », avec un problème de variabilité des prix et donc des émissions de GES. G. Habert du LCPC à même calculé une formule d’allocation permettant de répartir également les bénéfices :
Conclusion :
Ciment « vert ou écologique »…il est clair que le laitier n’est pas LA solution aux émissions de carbone. Du fait, comme nous l’avons vu plus haut,des émissions qui pourraient lui être allouées, mais également de la disponibilité sur le long terme de ce produit. L’industrie sidérurgique travaille également sur ses émissions de GES, les hauts fourneaux sont de plus en plus délaissés au profit de fours électriques ne produisant pas de « déchets laitiers ».
Si la solution miracle n’est pas là, le fait est, que le sujet est majeur et que la contrainte carbone (contrainte écologique mais surtout économique) va obliger les professionnels à investir en R&D sur le ciment. Plusieurs pistes sont à l’étude (combustibles alternatifs, multiplication des substituts au clinker, activation et optimisation de la température de cuisson des divers argiles…). Il ne faut pas perdre de vue que le ciment est aujourd’hui un matériaux très peu cher (10 à 15centimes le kg), ce coût relativement faible explique qu’il soit produit relativement localement (faible rapport valeur/poids, donc coûts de transports « importants ») et qu’il y ait des difficultés à trouver un substitut . En dehors de toute considération économique, et même en estimant que les progrès à venir vont réduire les émissions du ciment (et donc du béton), il faudra vraisemblablement utiliser ce matériaux avec plus de parcimonie si nous voulons respecter les contraintes que nous nous fixons en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre (contraintes qui pourraient s’imposer à nous, même si nous ne le souhaitons pas). Les pistes sont donc également à rechercher dans l’utilisation du ciment : optimisation de l’utilisation (réduction du volume de béton par unité d’usage) et utilisation de produits alternatifs (structure bois…)
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sources :
- Nombreuses études du LCPC (IFSTTAR) : G. Habert (principalement)
- BETON[S] LE MAGAZINE n°33 (avril/mai 2011)
- Lafarge rapport de développement durable 2009
Category : Bilan carbone &Materiaux btp