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Moins de béton et plus de main d’oeuvre (le béton – épisode 3)

Moins de béton et plus de main d’oeuvre (le béton – épisode 3)

janvier 6th, 2020 // 8:00 @

Il est usuel que pour x raisons (économique, « on a une grue c’est pour s’en servir », rapidité de réalisation, force de l’habitude…), un ouvrage soit réalisé en béton alors qu’il ne nécessite pas l’emploi d’un matériaux aussi performant et aussi « émetteur de CO2 ».

Au-delà de la question de la faisabilité technique, l’arbitrage entre différentes solutions est souvent (toujours) dicté par le coût. Hors contraintes techniques (poids, résistance…), si couler 0.5 m3 de béton permet d’éviter 3 h de main d’œuvre, le choix se portera rapidement sur le béton (même si cela génère une centaine de kg de CO2 supplémentaires).

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Main d’œuvre vs matériaux

Un moyen efficace de réduire les volumes de béton mis en œuvre pourrait consister à basculer la fiscalité, aujourd’hui appliquée sur la main d’œuvre,vers les matériaux (et encore mieux : vers les matériaux en fonction de leur impact carbone).

Les heures de main d’oeuvre sont souvent l’un des premiers déterminants du coût final d’un ouvrage/objet… Au regard du coup de l’heure travaillée, il est aujourd’hui souvent plus intéressant économiquement de réaliser un voile plein plutôt qu’une structure poteau-poutre.

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Imaginons pour l’exercice (purement théorique), que nous devions construire un ouvrage uniquement destiné à supporter un autre ouvrage (plancher). Nous avons 2 solutions : voile béton ou poteau-poutre, imaginons que celles-ci remplissent la même fonction.

  • Couler un voile (banché) de béton plein (3.75*2.5 ht) revient à mettre en œuvre 1,88 m3 de béton en 10,75 heures (coffrage, ferraillage, coulage, décoffrage) et mobiliser ainsi 470 kgCO2e[1].
  • Une structure poteaux/poutre de même dimension nécessite environ 13,90 h (30% de plus) pour 0,45 m3 de béton (75% de moins) et nécessite, elle, 113 kgCO2e.

Le coût de réalisation du voile « tout béton » et de la structure « poteau/poutre » est du même ordre de grandeur (hypothèses : 30 €/h et 100 €/m3 de béton), le voile béton étant plus cher de 10%.

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Les avantages d’une baisse de la fiscalité sur la main d’œuvre

Que se passerait-il si une modification de la fiscalité sur la main d’œuvre permettait de gagner 20% sur le coût de chaque heure travaillée (30 €/h ramené à 24 €/h) et qu’en contrepartie, une taxe carbone de 136 €/tCO2e[2] était mise en place sur les matériaux ?

  • Pour le voile « tout béton », son prix serait exactement le même (188 € de béton, 258 € de main d’œuvre et 64 € de « taxe carbone » → soit 510 €).
  • Pour la structure poteau poutre, en revanche le bilan serait plus favorable (45 € de béton, 333 € de main d’œuvre et seulement 15 € de taxe carbone → soit 393 €).

Le voile béton serait dans ce cas plus cher de 30%.

Actuellement, le maître d’ouvrage ou l’entreprise peut avoir envie de ne pas « s’embêter » pour des raisons de rapidité et peut choisir par facilité la première option (à quelques euros près…). Alors qu’avec une fiscalité « favorable », la structure poteau/poutre commence à devenir plus compétitive. Une troisième option en structure bois bénéficierait encore plus de cette mesure (encore plus de main d’œuvre et peu de matière, à très faible impact).

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Inciter ou contraindre

La RE2020 devrait contraindre les constructeurs à tenir compte de l’empreinte carbone de leurs ouvrages. Les concepteurs vont devoir « sélectionner » les matériaux mis en oeuvre dans l’objectif de rester globalement sous un ratio réglementaire en kg CO2/m² SDP. C’est une très très bonne avancée mais cela reste une contrainte qui va à l’encontre des intérêts des constructeurs car cela va vraisemblablement générer une augmentation du coût de la construction. Et si l’intérêt économique n’est pas évident, les professionnels risquent de ne pas porter cette réforme avec un enthousiasme débordant.

Une baisse de la fiscalité sur la main d’oeuvre aurait de tout autres avantages. Le premier serait de réduire les émissions de CO2 (moins de machines et de matériaux, c’est moins de CO2). Mais cela permettrait également de redonner une valeur à « l’ouvrage » (au sens : « Action de travailler, de mettre en œuvre ») comparativement aux matériaux.  Une baisse du coût de la main d’œuvre (et une taxe carbone complémentaire) aurait l’énorme avantage de réorienter le modèle économique de la construction. Les constructeurs y trouveraient des opportunités, les travailleurs valoriseraient des savoir-faire et des compétences. On perdrait peut-être un peu en rapidité mais toute l’économie y trouverait un avantage (chômage, balance commerciale, et bien sûr impact carbone…).

J’ai bien conscience que cette réflexion est aujourd’hui à « contre-courant » et que transférer des charges sociales sur une taxe carbone est pure utopie. Il n’empêche que cela aurait un certain intérêt. Aujourd’hui on prend le chemin inverse : on achète des machines allemandes ou chinoises pour continuer à couler volumes et quantités le plus vite possible tout en entassant des bataillons de chômeurs et en émettant de plus en plus de CO2 par m². Bref… ce que l’entreprise et le Maître d’Ouvrage gagnent aujourd’hui dans la réduction du recours à l’humain, la société le perd…

Figure 2 : L’impression 3D ou comment réduire encore la main d’œuvre et mobiliser encore plus matériel et matériaux.


[1] On ne prend en compte dans le calcul que le béton : 250kgCO2e/m3 de béton (hypothèse)

[2] Hypothèse pour que la taxe carbone à 136€/tCO2e compense 20% du prix de la main d’œuvre, sur cet exercice


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